Découvrez dans cet article comment l'assurance de Protection Juridique a évolué des années 1900 jusqu'à nos jours.
Un sou pour être défendu en justice
L’histoire commence en 1897 lorsqu’une femme décède pendant son accouchement. Son mari décide alors de poursuivre le praticien en justice. Celui-ci sera condamné et reconnu coupable de négligence.
A la suite de ce procès, sera créé Le Sou Médical (compagnie qui existe toujours de nos jours et désormais filiale de MACSF). Cette mutuelle était destinée à protéger ses membres médecins dans des affaires semblables. Cette initiative eut un grand succès auprès des praticiens qui étaient alors livrés aux conséquences à la fois civiles et pénales de tout événement malheureux dans la pratique de leur métier. Elle se propose de collecter « un sou par jour » pour leur assistance devant les tribunaux.
Bien entendu, il ne s’agit alors pas encore d’une « Protection Juridique » au sens propre mais bien de la naissance d’une première assurance de défense et de protection juridique facultative corporatiste. Se dessinent alors les premiers contours de la future assurance de Protection Juridique.
L’avènement de l’automobile
En 1917, pendant la première guerre mondiale, alors que le cheval reste le moyen de transport le plus répandu, George Durand, un quinquagénaire imaginatif et passionné par le transport du futur qu’est l’automobile, crée l’Automobile Club de l’Ouest au Mans (celui-ci créera plus tard les 24h du mans).
Même si les accidents sont encore peu nombreux et que le peuple déteste encore vigoureusement la voiture (bruyant, malodorant et destiné aux riches excentriques), George Durand, sans doute un peu visionnaire, crée un service juridique gratuit pour défendre les membres de son club. Cette assistance devient très vite victime de son succès et George Durand fonde alors une nouvelle Mutuelle, payante cette fois-ci, pour défendre les adhérents. Cette mutuelle s’appellera la DAS pour « la Défense Automobile et Sportive ».
Le nom n’avait pas été choisi par hasard. Déjà, à cette époque, le seul fait de conduire une voiture était déjà une activité sportive. Le public visé, principalement sportif, était aussi plus large : pratique de l’aérostation, de l’aviation, du cyclisme, de la chasse, de la pêche, du tir, de la gymnastique, du football et de tous les sports et exercices de plein air.
Pour promouvoir sa mutuelle, George Durand propose « une protection énergique et active pour prendre en charge vos intérêts quand vous êtes victime sur la route d’un accident qui n’est pas de votre fait et qui n’a causé des dégâts qu’à vos autos ou vous-même »
Le contrat précise que « la société garantit à ses adhérents : le remboursement des frais de consultation, d’assistance d’avocat et de procédure devant toutes les juridictions ».
Le contrat proposé par la DAS s’appelle « de Recours et Défense », un nom qui exprime parfaitement sa double action :
- Recours (volet actif) pour le recouvrement d’un dommage. L’assuré est demandeur.
- Défense (volet passif) dans les procès pour délits commis par imprudence ou pour infractions aux règles de la circulation routière. L’assuré est défendeur.
La DAS Française (aujourd’hui intégrée à Covéa PJ) est ainsi considérée comme la toute première Protection Juridique au monde de par sa proposition de valeur très proche de celle de la Protection Juridique d’aujourd’hui.
Le décollage de la Protection Juridique
Après la guerre 14-18, l’automobile amorce son développement auprès du grand public. La réussite de la DAS, poussée par cette croissance exponentielle de l’automobile, est alors très rapide : de 1 000 contrats en 1918 à plus de 10 000 en 1920. En 1927, la DAS déclarait avoir 195 000 clients et assurer 240 000 véhicules.
Bien entendu, avec un marché automobile en pleine de croissance, de nombreux acteurs se positionnent sur ce marché juteux. Toute l’Europe découvre alors cette nouvelle assurance, d’abord en Italie, en Suisse, en Belgique, en Allemagne, en Espagne, etc.
En France, en 1922, naît au Havre « La Défense Civile », longtemps indépendante, elle intègre le Groupe de Paris, puis le groupe AXA pour enfin devenir la société JURIDICA que l’on connait aujourd’hui. Elle eu longtemps comme slogan « La Défense Civile défend ses assurés » et se faisait surnommer « la méchante compagnie » pour souligner son intransigeance dans la sauvegarde des intérêts de ses assurés.
L’expression « Protection Juridique » à proprement parler apparaît pour la première fois dans la raison sociale d’une compagnie suisse leader du marché, la CAP (« Compagnie d’assistance et de Protection Juridique des usagers de la route »). Elle fut d’abord adoptée par les autorités helvétiques et reprise par tous les pays francophones.
En 1926 sera créé la DAS Suisse, totalement indépendante de la DAS Française.
La DAS allemande a été fondée par les actionnaires de la DAS suisse en 1928, en tant que prestataire de services juridiques pour les automobilistes. Ils germanisèrent la raison sociale en « Deutscher Automobil Schutz » (« Défense automobile allemande » tout en gardant l’acronyme DAS). La compagnie s’appuie sur le même concept à succès que la DAS Française, avec un club automobile qui décida d’augmenter les cotisations de ses membres pour créer un fonds destiné à financer la défense de ses membres accusés ou victimes d’infractions au code de la route. La DAS Allemande deviendra le plus grand assureur mondial de Protection Juridique. Sa rivale historique, la compagnie Allemande ARAG créée en 1935 trône aujourd’hui à la deuxième place
Dans les années 1930, une compagnie belge se lance aussi avec succès dans une autre branche que l’automobile. L’idée était de proposer une Défense après Incendie qui pouvait intervenir lors d’un contentieux suite à un sinistre avec la société assurant le risque incendie. Mais c’est seulement après-guerre que la Protection Juridique se diversifiera vraiment.
Beaucoup de compagnies ne résisteront pas à la seconde guerre mondiale.
La Protection Juridique n’est toujours pas une assurance
Pour autant, dans cette même période, la Protection juridique n’est pas toujours considérée comme une assurance au sens propre, à l’époque le cadre de l’assurance n’était également pas aussi clair qu’aujourd’hui. Elle se présente encore souvent sous la forme d’un abonnement vendu par les cabinets d’affaires, les sociétés de défense ou les organismes de contentieux. Elle comprend toujours des prestations de service, la couverture des frais, et quelquefois des garanties en lien avec des assureurs historiques.
Par exemple, la DAS Allemande, société de prestation de services, ne deviendra une véritable assurance qu'en 1941, soit 13 ans après sa création.
Bien entendu, avec un marché en plein expansion, les assureurs et mutuelles traditionnels commencent à s’intéresser à la Protection Juridique et à inclure des clauses de « Recours et Défense » à l’image des contrats de la DAS (qui proteste alors énergiquement en indiquant que l’assureur ne peut pas être juge et partie dans le cadre d’un recours contre lui-même ; sans succès).
L’explosion après la seconde guerre mondiale
Après la seconde guerre mondiale les besoins explosent, la voiture devient incontournable et le nombre d’accidents s’accroit de façon exponentielle, l’assurance responsabilité civile (RC) devient alors obligatoire en France en 1959 et dans de nombreux autres pays.
Pour autant, sans convention entre les assureurs, obtenir un dédommagement ne reste pas chose aisée. La culture de la relation avec l’adversaire fait défaut, les gestionnaires ne se gênent pas pour faire trainer les dossiers de sinistre. L’assurance de Protection Juridique et l’argumentation de Georges Durand prend alors tout son sens à l’époque : « Si vous voulez une indemnisation équitable en cas d’accident, prenez une protection juridique ».
En une vingtaine d’années, avec l’explosion du marché, le nombre de compagnies spécialisées en Europe a été multiplié par trois.
Le conflit avec les avocats et les barreaux
Alors que l’automobile devient un phénomène de masse, la profession d’avocat, auparavant plutôt élitiste commence à s’intéresser à ce marché. D’autant que les assureurs commencent à empiéter quelque peu sur leurs platebandes. Le conflit était donc devenu presque inévitable.
Les avocats décrivent alors l’activité comme nocive, contraire dans son essence aux principes universels du droit et par conséquent demandent son interdiction totale. Les avocats réclament à minima de limiter l’assurance au volet pécuniaire (paiement des frais et honoraires de l’avocat), de laisser libre choix de l’avocat à l’assuré et de ne pas s’impliquer dans la gestion du litige. En cette période, en France notamment, les ordres pouvaient même interdire aux avocats de collaborer « sous quelque forme que ce soit » avec les compagnies œuvrant dans cette branche.
Néanmoins, après des décennies d’usage, l’assurance de Protection Juridique était entrée dans les mœurs et bien acceptée du public. De plus, de nombreux avocats entretenaient des relations satisfaisantes et bénéfiques avec les assureurs.
Progressivement, le bon sens l’emporta et les contrats des assureurs s’adaptèrent naturellement afin que chacun puisse trouver sa place dans le paysage juridique national.
L’avènement des conventions entre assureurs automobiles
Le 1er Mai 1968 la convention automobile I.D.A entre en vigueur. Cette convention souscrite par toutes les compagnies d’assurance prévoit qu’en cas d’accident automobile n’ayant causé que des dommages matériels en dessous d’un certain seuil, le lésé peut demander à son propre assureur un remboursement direct. L’assureur demande alors le remboursement des sommes avancées à l’assureur du tiers par un système de compensation (principe des recours subrogatoires).
Le modèle historique de la Protection Juridique, basé sur la difficulté de dialoguer avec les assureurs RC auto, était donc révolu. Afin de protéger leur activité historique et continuer à se développer, la diversification était devenue inéluctable pour les acteurs de cette assurance.
L’offre des compagnies devait donc s’enrichir pour proposer de nouvelles garanties et se rapprocher progressivement de la Protection Juridique que l’on connait aujourd’hui avec un très large champ d’intervention : travail, consommation, immobilier, auto, famille, entreprise, etc.
Le premier véritable contrat de Protection Juridique a été proposé en 1974 en Angleterre par un courtier des Lloyd’s. Le contrat était destiné aux besoins juridiques de « Mr. Average » (Monsieur Moyenne).
Et maintenant
De nos jours, l’assurance de Protection Juridique a trouvé sa place dans l’environnement juridique des différents pays. Elle contribue désormais à faciliter l’accès au droit pour de nombreux justiciables et dans de nombreux pays (notamment par sa contribution à l’aide juridictionnelle).
L’Europe est ainsi le berceau de cette assurance et son marché est de loin le plus important (80% du marché mondial). Avec plus de 4 milliards d’euros de primes par an, le marché Allemand de la Protection Juridique est de très loin le plus important du monde. La DAS Allemande (appartenant désormais au groupe ERGO) est aujourd’hui le plus grand assureur mondial de Protection Juridique et est présent dans de nombreux pays en Europe et dans le monde.
Le marché Allemand représente à lui seul plus de 35% du marché mondial, suivi par la France avec un peu plus de 10%.
Pour en savoir plus, découvrez notre article sur le fonctionnement de la Protection Juridique en France.
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Cet article est en partie une synthèse de l’ouvrage « L'assurance de protection juridique : origines et évolution » de Pablo Isola dédié à l’assurance Protection Juridique et disponible gratuitement sur le site RIAD (l’association internationale de l’apj). Carlo Isola a été l’un des initiateurs des 1ere rencontre Internationale des assureurs Défense à Rome en 1969. Il fut également secrétaire générale de RIAD jusqu’en 1993 et ensuite son vice-président. Il a rédigé cet ouvrage afin de laisser une trace de la naissance de cette assurance.